ALCOOL ET DROGUE DANS L’ENTREPRISE : PRÉVENTION ET RÉPRESSION

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Le titre de l’intervention qui nous réunit aujourd’hui est extrêmement important, car si l’employeur a immédiatement conscience que drogue et alcool sont incompatibles avec l’exercice d’une activité salariée, encore faut il que, pour que la répression soit efficace (et donc pour que ce ne soit sa faute qui soit retenue), il ait posé les règles, c’est-à-dire qu’il ait fait de la prévention, quelle que soit la taille de l’entreprise.


Autrement dit, il y a véritablement deux responsabilités qui coexistent : celle de l’employeur tout d’abord et celle du salarié ensuite et corrélativement.

Quand l’employeur voit dans l’ébriété ou la consommation de drogue sur le lieu de travail une simple faute professionnelle (voire une faute grave) susceptible de sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement, le Juge prud’homal peut, de son côté, y voir effectivement une faute, mais également un état d’addiction donc une maladie qui peut, en outre, avoir pour origine des conditions de travail difficiles dans l’entreprise, par exemple.

Dès lors, en cas de litige concernant un licenciement pour ébriété ou usage de drogue au travail, par exemple, le Juge prud’homal s’assurera d’abord que cet usage n’a pas été toléré par l’employeur et que celui-ci a satisfait aux exigences légales en matière de prévention de ce type de risque.

L’employeur est, en effet, garant de la santé au travail de ses salariés, quelle que soit la taille de son entreprise.

A ce titre, on sait bien que pèse sur l’employeur une obligation de sécurité de résultat forte.

Il n’y a pas de doute possible, assurer la sécurité des travailleurs, c’est d’abord l’affaire de l’entreprise :

• d’une part, il y a le Code du travail qui nous dit que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (article L.4121-1),
• d’autre part, il y a la jurisprudence qui estime que l’employeur est tenu, en vertu du contrat de travail, à une obligation de sécurité de résultat envers le salarié.

Pour autant, l’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l’employeur ne permet aucunement d’exonérer le salarié de son comportement fautif à partir du moment où il est caractérisé.

Confronté à une problématique d’alcool ou de drogue dans l’entreprise, il me semble que le Chef d’entreprise doit absolument garder un principe à l’esprit : il ne peut pas y avoir de sanction sans qu’aucun texte n’existe.

Autrement dit, ce qui est absolument impératif c’est tout d’abord que l’employeur instaure des règles dans son entreprise et que ces règles soient claires et précises.

Ce qui vient immédiatement à l’esprit c’est le règlement intérieur, expression du pouvoir patronal par excellence et qui a la nature d’un acte réglementaire.

En clair, cela veut dire qu’il s’impose aux salariés sans qu’il y ait à rechercher si ils y ont souscrit lors de leur engagement.

Evidemment, cela suppose que les clauses qu’il comporte soient licites et que le règlement intérieur ait été établi dans le respect des conditions de sa mise en œuvre (consultation préalable des représentants du personnel s’il y en a, communication à l’inspecteur du travail etc).

Le règlement intérieur est obligatoire dans toutes les entreprises de plus de 20 salariés.

Il est donc facultatif pour les autres entreprises qui peuvent néanmoins librement opter pour sa mise en place.

Je ne saurais que trop conseiller cette formule, car avoir des règles clairement édictées me semble être une base essentielle lorsque l’on est employeur, quelle que soit la taille de la structure, a fortiori s’il y a moins de 20 salariés.

Dans l’hypothèse où le règlement intérieur n’existerait pas et/ou l’employeur qui a moins de 20 salariés ne souhaiterait pas le mettre en place, il faudra alors que ce soit le contrat de travail qui inclut les règles à respecter dans l’entreprise en matière d’alcool ou de drogue.

 

L’ALCOOL

On l’a dit, l’employeur ne peut rien faire s’il ne l’a pas prévu, dans son règlement intérieur ou dans un autre document, (vraisemblablement le contrat de travail).

A partir de ce moment-là, si le salarié consomme de la drogue dans l’entreprise ou arrive alcoolisé, l’employeur sera à même de le lui reprocher… mais se posera évidemment la question de savoir comment il est possible de prouver la faute.

A – LA RESPONSABILITÉ DE L’EMPLOYEUR
L’employeur devra donc justifier avoir averti le salarié de la règle prévalant dans l’entreprise en matière d’alcool et avoir mis en œuvre des dispositions de prévention.

Le règlement intérieur doit comporter des réserves concernant la consommation d’alcool et permettre le recours à l’alcootest.

• Sur la consommation d’alcool

Spécificité bien française, le Code du travail prévoit qu’aucune boisson alcoolisée n’est autorisée sur les lieux de travail, excepté le vin, la bière, le cidre et le poiré et il prévoit aussi qu’il est interdit, sous peine de sanctions pénales, de le laisser entrer et séjourner dans les lieux de travail des personnes en état d’ivresse. (Article R.4228-20 et R.4228-21 du Code du travail)

Pour autant, le règlement intérieur ne peut pas édicter une interdiction générale et absolue d’introduire et de consommer sur le lieu de travail les boissons alcoolisées visées ci-dessus.

L’employeur peut, lorsque des impératifs de sécurité le justifient, insérer dans le règlement intérieur des dispositions qui limitent la consommation de boissons alcoolisées de manière plus stricte que l’interdiction posée par le Code du travail, mais ces dispositions doivent rester proportionnées au but de sécurité recherché.

Autrement dit, les restrictions doivent être justifiées par une situation particulière de danger ou de risque.

• Le recours à l’alcootest
Selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, le recours à l’alcootest n’est justifié que s’il a pour objet de prévenir ou de faire cesser immédiatement une situation dangereuse.

Mais sa finalité étant exclusivement préventive, il ne saurait permettre à l’employeur de faire constater une éventuelle faute disciplinaire.

Voilà une disposition bien ambiguë et bien peu pratique pour le Chef d’entreprise.

Toutefois, fort de cette approche préventive, le Conseil d’Etat considère logiquement que l’employeur n’est pas tenu, dans le règlement intérieur, de :

• désigner nommément le ou les agents qu’il habilite à procéder à ce contrôle,
• préciser que les salariés ont la faculté de demander une contre-expertise de leur état,
• préciser que le contrôle s’effectuera en la présence d’un tiers.

Exemple :

Un salarié d’une entreprise de travaux publics a été licencié pour faute grave à la suite d’un contrôle d’alcoolémie effectué sur un chantier par son supérieur hiérarchique, alors que le salarié en question, au volant d’un véhicule automobile, transportait un autre salarié de l’entreprise.

Son taux d’alcoolémie était de 0,7 g, alors que le règlement intérieur de l’entreprise prévoyait l’interdiction d’accéder au lieu de travail en état d’ivresse et le recours à l’alcootest pour vérifier le taux d’alcoolémie d’un salarié conducteur d’un engin ou d’un véhicule automobile, notamment transportant des personnes.

Le licenciement pour faut grave a été validé :

• en raison des règles claires du règlement intérieur (possibilité de recours à l’alcootest + modalités de celui-ci),
• en raison aussi de la nature du travail confié à ce salarié, l’état d’ébriété étant de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger.

On voit donc bien dans cet exemple l’intérêt d’avoir des règles parfaitement claires, mais on voit aussi que la nature du travail du salarié a eu une influence sur la sanction prise, en l’occurrence le danger qu’il faisait courir à lui-même mais aussi aux autres.

Nous avons parlé tout à l’heure de l’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l’employeur, mais il ne faut pas oublier que le salarié aussi est soumis à une obligation de sécurité, pour lui et pour les autres (collègues, clients, usagers ou tiers).

Une fois de plus cette obligation de sécurité qui pèse sur le salarié est particulièrement sensible dès lors qu’il occupe des fonctions liées à la sécurité d’autres personnes.

A ce titre, on peut citer deux exemples aussi parlant qu’intéressant.

Exemple 1 :

Un salarié embauché comme chauffeur-livreur manutentionnaire a été licencié pour faute grave au motif qu’il « aurait » effectué une livraison sous l’emprise de l’alcool.

Le salarié a contesté son licenciement et il produisait une attestation de son médecin traitant qui écrivait que ce monsieur « ne présente pas de signe d’intoxication chronique ».

De son côté, pour démontrer les faits reprochés au salarié, l’employeur produisait aux débats, non pas un alcootest, mais deux attestations, celle d’une cliente de l’entreprise qui indiquait « avoir remarqué à plusieurs reprises que le livreur sentait l’alcool et que le jour des faits, il le sentait plus qu’habituellement » et celle d’un autre client qui « certifiait avoir vu le chauffeur en état d’ébriété avancé et indiquait qu’il s’était d’ailleurs trompé de magasin pour sa livraison du samedi 2 avril (jour de la constatation des faits) ».

L’employeur visait également un courrier d’un autre client qui indiquait que le jour des faits « le chauffeur s’est trompé de marchandise et se trouvait dans un état étrange : peut-être avait il bu ou était il drogué ».

Le licenciement pour faute grave a été validé au vu des pièces fournies par l’employeur et du fait qu’en plus de compromettre la qualité de son travail, son état était de nature à mettre en péril sa sécurité et celle d’autrui et, en cas de problème, d’engager la responsabilité de l’employeur.


Exemple 2 :

Un steward de la Société AIR TAHITI profitait des escales pour consommer de la cocaïne.

Il a été licencié pour faute grave.

Ce qui est intéressant, même si cela ne concerne pas l’alcool, c’est que les faits reprochés au salarié se sont passés en dehors de l’entreprise, en l’occurrence en dehors de l’avion.

Cependant, le licenciement pour faute grave de ce salarié a été validé, car il appartenait au personnel critique pour la sécurité et qu’en consommant des drogues dures pendant les escales entre deux vols, il n’avait pas respecté les obligations prévues par son contrat de travail et avait ainsi fait courir un risque aux passagers.

Dans cet exemple, comme dans le précédent, on voit bien que la nature du travail effectué par le salarié a une place importante dans la sanction de la faute.

Autres exemples :

D’autres exemples permettent d’illustrer notre propos face à un salarié manifestement alcoolisé.

Une salariée engagée en 1981 en qualité de Chef de service éducatif d’une association accueillant des personnes handicapées a été licenciée pour faute grave en 2007 en raison de son état d’ébriété sur le lieu de travail.

Elle a contesté son licenciement.

Les faits sont les suivants : le 5 octobre 2007, un membre du personnel informe le Directeur de ses inquiétudes quant à l’état de santé de la salariée.

Le Directeur va à la rencontre de la salariée et constate un état anormal pouvant être assimilé à un état d’ébriété.

Il lui propose alors de faire un éthylotest, étant précisé que cela est expressément prévu par le règlement intérieur (qui précise en plus qu’en cas d’alcootest positif, « le salarié sera convoqué à un entretien le lendemain ou le jour de la reprise pour analyse et comprendre la situation »).

La salariée accepte et l’éthylotest s’avère positif : la salariée reconnaît avoir consommé de l’alcool la veille au soir.

Le Directeur d’établissement ramène la salariée à son domicile.

La situation se répète le 10 octobre suivant, un nouvel éthylotest est fait, avec l’accord de la salariée, celui-ci se révélant à nouveau positif.

Le Directeur de l’établissement ramène la salariée cette fois au Cabinet de son médecin traitant.

Au vu de ces faits, l’employeur estime que la salariée a commis une faute en étant en état d’ébriété pendant ses heures de travail.

Au regard de l’obligation de sécurité pesant sur le salarié, pour lui-même, mais également pour les autres, il la licencie pour faute grave.

Lors du procès qui s’en est suivi, l’employeur a produit aux débats deux attestations, l’une du Directeur de l’association et l’autre du Chef d’atelier qui confirment par deux fois au moins, que la salariée avait présenté un comportement anormal permettant au Directeur de suspecter un état d’ébriété.

Le licenciement a été validé, la Cour de cassation considérant que l’état d’ébriété est démontré par les deux attestations susvisées et par l’absence de contestation de la salariée au moment de la réalisation des éthylotests.

Le licenciement a été d’autant plus validé que la survenance d’un tel état d’ébriété, à deux reprises en l’espace de quelques jours, pour un Chef de service amené à donner des ordres à ses subordonnés et à accueillir des personnes handicapées, avait nécessairement une répercussion sur la qualité de son travail et faisait courir à elle et au tiers un danger qui rendrait impossible la poursuite du contrat de travail.

Cet exemple est intéressant, parce qu’une fois de plus, on se réfère à la nature de l’activité occupée par la salariée au risque qu’elle peut faire courir à elle et aux autres pour justifier un licenciement.

On notera d’ailleurs que dans ce cas précis le licenciement a été validé, alors même que la salariée avait une ancienneté conséquente, à savoir 26 ans.

La faute grave a, par ailleurs, été retenue dans les cas suivants :
• un directeur d’agence s’étant trouvé régulièrement sur son lieu de travail en état d’ébriété après le déjeuner, ce qui risquait de ternir durablement l’image de l’entreprise,
• un responsable sécurité ayant été dans l’incapacité d’assumer ses responsabilités en raison d’une absorption excessive d’alcool pendant un pot dans l’entreprise et en présence de ses subordonnés,
• un contremaître, investi de responsabilités, pour des violences liées à son état d’ébriété et ayant nécessité son évacuation d’un chantier.

A l’inverse, aucune faute grave n’a été reprochée à :
• un salarié ayant participé à un pot organisé sans autorisation, dont l’état d’ébriété n’était pas démontré et qui n’avait fait l’objet d’aucune sanction depuis de nombreuses années,
• un salarié utilisant des outils potentiellement dangereux, mais dont l’état d’ébriété sur le lieu de travail n’avait eu ni précédent, ni répercussion sur la qualité du travail ou sur le fonctionnement normal de l’entreprise,
• une aide-soignante prenant son service de nuit en état d’ébriété pour laquelle il s’agissait d’une faute isolée en 23 ans d’ancienneté,
• un chauffeur sous l’emprise de l’alcool, mais ne dépassant pas le taux d’alcoolémie légalement autorisé dans le sang, le règlement intérieur de l’entreprise étant par ailleurs silencieux sur cette question.

En réalité, on voit bien que tout est une question d’espèce, de circonstances et surtout que devant les juridictions, c’est l’ensemble de la relation contractuelle qui est observé à la loupe.


Ainsi, par exemple, dans un des cas cités précédemment, le salarié avait fait l’objet d’un licenciement pour faute grave, sachant qu’il était employé de la Société Goodyear Dunlop France et affecté à des travaux requérant l’utilisation d’outils « râpants » et de machines potentiellement dangereuses, notamment des meuleuses pneumatiques.

Son état d’ébriété avait été démontré par un contrôle d’alcoolémie positif réalisé dans le strict cadre autorisé par le règlement intérieur.

L’employeur a considéré que ce salarié, qui travaillait en état d’ébriété avait exposé les personnes et les biens à un danger, qu’il avait violé les règles en vigueur dans l’entreprise et notamment le règlement intérieur.

L’employeur avait également considéré qu’à partir du moment où il était tenu, en matière de prévention, d’une obligation de sécurité de résultat, il ne pouvait pas être tenu d’attendre la réitération du comportement ou la réalisation effective du risque pour licencier son salarié.

Le licenciement a néanmoins été disqualifié, la juridiction estimant que la faute grave n’était pas caractérisée parce que :
• l’état d’ébriété du salarié sur le lieu de travail n’avait pas eu de précédent,
• et qu’il n’avait eu aucune répercussion sur la qualité du travail, ni sur le fonctionnement normal de l’entreprise.

Voilà une décision qui risque de laisser perplexe bon nombre de Chefs d’entreprise…


B – LA RESPONSABILITÉ DU SALARIÉ

On s’est largement occupé de la responsabilité de l’employeur, mais en filigrane, on voit bien qu’elle n’exclut pas la responsabilité du salarié.

Les exemples que nous avons vus précédemment nous permettent déjà d’en délimiter les contours et il conviendra donc de les reprendre succinctement afin de les avoir bien à l’esprit.

Il faut distinguer selon que la prise d’alcool est occasionnelle ou récurrente.

• Hypothèse d’une prise d’alcool occasionnelle
Dans ce cas, la gravité de la faute résulte de la mise en danger d’autrui.

On l’a vu dans les exemples cités ci-dessus, la mise en danger d’autrui entraîne le licenciement pour faute grave, même si la prise d’alcool est ponctuelle et faite en dehors de l’entreprise (cela vaut évidemment également pour la prise de drogue !).

Autrement dit, lorsque le risque que fait courir le salarié touche l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur, la sanction est le licenciement pour faute grave.

On l’a vu dans le cas du steward consommateur de cocaïne pendant les escales : la faute grave est caractérisée, même si les substances ont été prises en dehors de l’entreprise.

• Qu’en est il de la consommation d’alcool dans l’entreprise sans mise en danger d’autrui ?

N’oublions pas que le salarié a pour première obligation de se conformer aux instructions de l’employeur, donc au règlement intérieur, pour autant qu’il ait pu en prendre normalement connaissance.

Si les règles établies par le règlement intérieur sont claires (et en l’absence de règlement intérieur si les règles sont édictées dans le contrat de travail par exemple), le Juge va apprécier le niveau de gravité des faits reprochés en fonction de ces règles prédéterminées pour juger de la proportionnalité ou pas de la sanction.

On l’a vu ci-dessus avec nos différents exemples, on se fonde certes sur les jours où les faits ont été commis, mais également sur l’ensemble de la relation contractuelle (c’est d’ailleurs comme ça que le salarié, bien qu’affecté à des machines dangereuses et en état d’ébriété, a vu son licenciement disqualifié, parce qu’il s’agissait d’un cas isolé n’ayant pas eu de répercussion).

• Qu’en est il de la prise récurrente d’alcool (ou de drogue) ?

En général, dans ce cas, on a rarement des incidents permettant de mettre en œuvre la procédure de licenciement, mais plutôt une perte d’efficacité et des risques d’accident dus à l’absorption continue du salarié de substances (alcool ou drogue), en général prise en dehors des lieux de travail.

Nous voilà ici confrontés à un problème bien plus compliqué.

En effet, juridiquement on peut considérer qu’on se trouve en présence d’une addiction et on peut considérer qu’il s’agit d’une maladie dont on ne peut pas prévoir le terme.

Or, le licenciement pour maladie est illégal, l’article L.1132-1 du Code du travail précisant : « Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié, en raison de son état de santé ou de son handicap. »

On se retrouve encore et toujours confronté, et c’est bien normal, à l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur.

Alors que faire ?

Probablement se tourner vers le médecin du travail pour essayer de trouver des solutions ?


Aux termes de mes recherches, j’ai pu lire les choses suivantes :
« Dans la mesure où l’on peut trouver un poste aménagé en liaison avec le médecin du travail le temps d’une cure de désintoxication, par exemple, on n’ajoutera pas la perte de l’emploi à la maladie qui est la dépendance aux drogues ou à l’alcool. »

Le propos est compréhensible et tout à fait louable et en pratique, il n’est pas certain que le Chef d’entreprise, confronté à un pragmatisme obligatoire et au fait qu’il doit faire tourner son entreprise, y voit un écho favorable.

En tout état de cause, dans la mesure où la consommation d’alcool (ou de drogue), confère à une maladie (le terme maladie est ici utilisé comme un terme générique et non pas technique, dès lors que je ne dispose pas de la compétence pour ce faire), il est possible que l’on aboutisse à une inaptitude au poste qui justifie un licenciement pour inaptitude (dans ce cas là, il appartiendra à l’employeur de respecter l’obligation de reclassement qui pèse sur lui).

Enfin, dans l’hypothèse où la consommation d’alcool (ou de drogue) se traduit par des erreurs continuelles dans les processus de production, par exemple, et à partir du moment où ces erreurs sont effectives et directement imputables au salarié et qu’elles ont des conséquences suffisamment graves pour l’entreprise, un licenciement pour insuffisance professionnelle sera alors justifié.


LA DROGUE

Il existe toutes sortes de drogues.

Nous avons pu déjà rencontré le cas de notre steward cocaïnomane qui a perdu son travail en raison de sa consommation de cocaïne pendant les escales.

Selon l’observatoire européen des drogues et des toxicomanies, 1,2 millions de français sont des consommateurs réguliers de cannabis et 3,8 millions en ont consommé au moins une fois dans l’année.

Une entreprise sur dix serait concernée par le cannabis au travail selon le cabinet de conseil INTERSTYS pour qui les risques sont multiples : augmentation de l’absentéisme, diminution de la productivité, mise en danger d’autrui, etc.

Selon l’INSERM, justement, 15 à 20 % des accidents du travail sont provoqués chaque année par des conduites addictives.

• Existe-t il un cadre légal permettant un dépistage de stupéfiants au travail ou à l’embauche ?

On l’a vu que l’employeur est soumis à une obligation de résultat de veiller à la santé et à la sécurité physique et mentale des travailleurs.

Cette obligation étant particulièrement lourde, il pourrait être tenté de prévoir et d’organiser au sein de son entreprise des contrôles et des dépistages de stupéfiants.

Si le Code du travail n’interdit pas la pratique de tests de dépistage, que ce soit au moment de l’embauche ou lorsque la personne est déjà salariée, pour les postes à risque et à responsabilité, … doit néanmoins intervenir dans le respect des règles d’information individuelle envers les personnes concernées.

Toutefois, il n’existe pas de dispositions similaires à ce qui a pu être arrêté relativement aux éthylotests.

Le dépistage systématique est, en tout état de cause, interdit.

Le dépistage de la toxicomanie doit être pratiquée par un médecin ou un biologiste et le salarié doit être informé par le médecin du travail de la nature et de l’objet du test.

Les résultats sont soumis au secret professionnel, le médecin du travail doit donc se limiter à faire connaître à l’employeur l’aptitude ou non du salarié ou du candidat à un poste (article R.4624-31 du Code du travail).

La mise en œuvre de ces tests résulte donc d’un compromis entre la nécessité de protéger les salariés et celle de respecter leurs libertés individuelles.

La Cour européenne des droits de l’homme, au visa notamment de l’article 8 § 2 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, s’est prononcée sur un contrôle annuel obligatoire de la toxicomanie, en affirmant que ces tests de dépistage constituaient une ingérence justifiée par un motif légitime, en l’espèce, assurer la sécurité d’un ferry ou d’une centrale nucléaire.


• Comment contrôler ?

La Chambre sociale de la Cour de cassation a admis que l’employeur pouvait utiliser, à l’appui d’une sanction disciplinaire ou d’un licenciement, les images obtenues grâce à la vidéosurveillance : en l’espèce, les caméras avaient été disposées dans un entrepôt non pas pour surveiller les salariés, mais pour surveiller les marchandises, mais la Haute Juridiction a estimé que l’employeur pouvait se servir des images à partir du moment où elles prouvaient un fait fautif.

En l’occurrence, il s’agissait d’un vol.

Par ailleurs, l’employeur peut prévoir la fouille des vestiaires des salariés dans le règlement intérieur, sous réserves de certaines conditions (en présence du salarié, celui-ci ayant été préalablement prévenu et à des strictes fins de sécurité).


• Une sévérité accrue

Malgré les outils disciplinaires et réglementaires mis à sa disposition, c’est bien à l’employeur qu’il incombe la charge de la preuve.

De manière générale, on constate que la jurisprudence de la Cour de cassation a évolué vers une sévérité des sanctions, lorsque l’entreprise est confrontée à la drogue.

Le principe est le suivant : constitue une faute grave pour le salarié le fait de consommer des stupéfiants pendant son temps de travail.

Il a même été jugé que la simple détention ou manipulation de stupéfiants sur le lieu de travail était répréhensible.

En l’occurrence, une salariée a été licenciée pour faute grave pour avoir manipulé de l’herbe de cannabis sur son lieu de travail.

Celle-ci avait ramassé et détenu dans ses mains le produit.

La salariée a contesté le terme de « manipulation » employé dans la lettre de licenciement.

Toutefois, la détention, au sens juridique du terme (pénal ou civil) ne requiert pas la propriété, ni la possession de la chose.

Ainsi, dès lors que la salariée a reconnu avoir tenu dans ses mains le produit, elle s’est trouvée détenir un produit stupéfiant interdit aux temps et lieu de travail.

La faute grave a été consacrée.

Pour aller encore plus loin, la Cour d’appel de PAPAETE a approuvé le fait qu’un salarié soit licencié pour les faits suivants :

Engagé en qualité de chauffeur-livreur dans une société exerçant une activité de répartition pharmaceutique, le salarié s’était rendu en Hollande pour acheter du cannabis et satisfaire un besoin d’argent, pays dans lequel il a été arrêté et incarcéré pour trafic de stupéfiants.

Si ces faits, reconnus par lui, sont survenus en dehors du lieu et du temps de travail, ils ne sont pas sans rapport avec l’activité professionnelle de l’intéressé.

Son employeur s’est donc interrogé sur le point de savoir si le salarié, qui avait avoué avoir besoin d’argent, ne risquait pas d’utiliser la marchandise de l’entreprise à des fins personnelles.

Son comportement justifiait donc que celle-ci ait perdu la confiance qu’elle avait en lui et n’ait pas pris le risque de lui confier des produits rares, dangereux et négociables.

La jurisprudence reste constante dans les autres cas.

Ainsi, le licenciement d’un salarié avait une cause réelle et sérieuse, dès lors qu’il était établi à son encontre qu’il avait fumé de la marijuana pendant ses heures de travail.

Pour prouver la faute, l’employeur a pu valablement se fonder sur les attestations de personne qui confirment les lourds doutes qui pesaient sur lui.

Citer encore le fait que cultiver de façon dissimulée du cannabis dans l’enceinte d’une entreprise constitue une faute grave : en l’espèce, l’employeur avait découvert des plants de cannabis que le salarié avait reconnu avoir plantés (la qualification de faute lourde a néanmoins été écartée…).

Pour conclure,

On le voit, le droit du travail est avant tout un droit vivant et on se rend bien compte qu’à la lecture des règles applicables et des cas particuliers envisagés, il est difficile de proposer aux Chefs d’entreprise un cadre, mais qu’au contraire, tout est question de circonstances.

Ce qu’il faut néanmoins retenir, c’est qu’avant même de se poser la question de la répression, il faut impérativement faire de la prévention et poser des règles claires.

Cela vaut pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, qu’elle soit ou non assujettie à la rédaction d’un règlement intérieur.

Toutefois, on se rend bien compte de l’intérêt de rédiger un règlement intérieur, même si on embauche moins de 20 salariés, car cela permet de poser des règles qui permettront ensuite au Chef d’entreprise de savoir où il va et aux salariés de savoir précisément quelles sont les règles à respecter, car les problèmes d’alcool et de drogue se rencontrent dans toutes les entreprises, qu’elles embauchent plus ou moins de 20 salariés. 

ANNE-CLAIRE MOSER-LEBRUN / Avocat : EN SAVOIR +