Condamné à Reims pour un rodéo avec le GIGN et 324 kg de cannabis

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En mars 2017, un Rémois qui convoyait 324 kilos de cannabis avait fait du stock-car pour échapper au GIGN. Ce volet routier, jugé jeudi, a été sanctionné par une peine de 10 mois ferme. « Détournement de procédure », accusent ses avocats.

Unité d’élite de la gendarmerie nationale, le GIGN de Versailles-Satory avait été prévenu : c’est un solide client qu’il fallait prendre en filature pour l’intercepter à la sortie de l’A4. Les supergendarmes n’ont pas été déçus. Nomade sédentarisé de 32 ans, le Rémois Paul Klatt a respecté sa réputation forgée au fil de ses rencontres musclées avec les forces de l’ordre, notamment la nuit, quand il les croisait pendant des raids.

Ce 13 mars 2017, au moment où les véhicules banalisés du GIGN commencent à suivre son fourgon sur l’A4, entre Paris et Reims, aucun cambriolage en préparation. Depuis plusieurs mois, les gendarmes de la section de recherches de Reims enquêtent sur un gros trafic de résine de cannabis qui serait dirigé par deux frères du quartier Orgeval. Des investigations, il ressort que le duo aurait noué affaire avec certains nomades pour leurs compétences en matière de conduite sportive, afin de leur confier le transport de la drogue moyennant rétribution.

Gymkhana devant Ikea
Mi-mars, une date de livraison est éventée. D’après les renseignements, Paul Klatt doit se rendre en région parisienne dans la nuit du 12 au 13 pour récupérer une cargaison de 324 kilos (800 000 euros).

Au retour, vers 8 h 30, le GIGN donne le top départ de l’interception alors que le suspect arrive au péage de Thillois. Son fourgon est pris en tenaille, Paul Klatt accélère, parvient à passer, percute l’auto d’un particulier, explose la barrière du péage et sort de l’A4 à tombeau ouvert, direction la zone Ikea. Il emprunte des ronds-points à contresens, percute les véhicules du GIGN qui tentent de le dépasser, déboule sur le parking du centre commercial, tamponne la voiture d’un client puis s’enfuit à pied, fourgon hors d’usage. Les gendarmes courent plus vite. Deux de leurs véhicules sont sérieusement endommagés.

Cette interpellation sera suivie de nombreuses autres liées au trafic de drogue (nos éditions des 17 mars, 7 septembre et 23 octobre 2017) mais jeudi, c’est uniquement pour les délits routiers que Paul Klatt était déféré en comparution immédiate, à la grande colère de ses avocats, Mes Anne-Claire Moser-Lebrun et Arthur De La Roche.

Placé en garde à vue la veille de sa sortie de prison
Paul Klatt a été incarcéré pour sa participation présumée au trafic, sauf que le 12 décembre 2017, la Cour de cassation a prononcé la nullité de sa détention provisoire, au motif que le cabinet d’instruction n’avait pas transmis une pièce à la défense. Il aurait dû être libéré le jour même, mais il purgeait aussi quelques peines, notamment six mois ferme pour un accident sur l’avenue Brébant à Reims (ivre, il avait dérapé sur la neige à grande vitesse et percuté une voiture, blessant la conductrice).

« Avec les remises de peines, M.Klatt aurait dû être libéré mercredi à 8 heures. Et c’est la veille de sa libération, mardi, qu’on le place en garde à vue pour ces faits vieux d’un an ! », s’étrangle Me Moser-Lebrun. Alors que la procédure était en attente depuis mai 2017, « le parquet a contacté le peloton autoroutier le 26 janvier pour accélérer le dossier. Pourquoi se réveiller si tard en pressant les gendarmes ? Parce que sa détention provisoire a été annulée et qu’il va bientôt sortir, notre Paul Klatt ! “Vite, vite, dépêchez-vous les gars !” Il n’y a aucune autre raison que celle de vouloir maintenir M.Klatt en détention, parce qu’il s’appelle Paul Klatt, parce qu’on n’a pas envie de le voir comparaître libre dans le dossier à l’instruction. C’est un détournement de procédure. Ses droits ont été bafoués. On ne peut être qu’écœuré, indigné de se retrouver aujourd’hui en comparution immédiate, le lendemain où il aurait dû être libéré. »

Reconnu coupable des délits routiers, Paul Klatt est condamné à dix mois de prison. C’est pourtant les poignets libres, sans menotte, qu’il quitte le tribunal : le mandat de dépôt n’a pas été prononcé. Il va pouvoir purger sa peine sous bracelet électronique. Fabrice Curlier

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Le gros dossier va-t-il faire pschitt ?

Paul Klatt est l’une des huit personnes actuellement mises en examen dans le dossier de stupéfiants. D’un côté, il y a les nomades sédentarisés, comme lui, suspectés de faire les chauffeurs ; de l’autre, des délinquants de cités, dealers présumés. Les chefs seraient deux frères du quartier Orgeval, la trentaine, le premier arrêté en septembre 2017 sur une autoroute de Seine-et-Marne avec 100 000 euros en billets dans sa voiture, le second cet hiver dans une station de ski des Alpes, où il prenait du bon temps après s’être accordé une trêve dans sa cavale au Maroc.

La saisie des 324 kilos de cannabis est la plus grosse jamais réalisée à Reims depuis de nombreuses années. Mais va-t-elle déboucher sur un fiasco judiciaire de la même importance ? L’annulation de la détention provisoire de Paul Klatt n’est pas le seul couac du dossier. À l’audience, on a appris que la cour d’appel de Reims, en janvier, a annulé la « sonorisation » qui avait permis de connaître la date de livraison des 324 kilos, car renouvelée hors délai par le juge. Pour les avocats, cette boulette aurait dû entraîner la nullité de la saisie, au motif qu’elle découlait d’une « sonorisation » illégale, mais la cour d’appel l’a quand même validée. Les conseils des mis en examen ont formé un pourvoi devant la Cour de cassation, avec l’espoir qu’en prononçant la nullité de la saisie et des procès-verbaux d’interpellation de Paul Klatt, elle provoquerait l’effondrement de toute l’instruction et de ses huit mises en examen.

THIERRY PELLETIER / Avocat : EN SAVOIR +