« L’AGENT IMMOBILIER EST-IL INDÉFINIMENT RESPONSABLE… ? »

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L’agent immobilier est la cible idéale car, d’une part, en sa qualité de professionnel, il est censé tout savoir, y compris ce qu’ignorent les parties, et, d’autre part, il est solvable car bien assuré… même si l’agent immobilier devrait vérifier, au préalable, si cette deuxième condition est bien réelle.

 

1. – La responsabilité civile de l’agent immobilier peut être recherchée soit en sa qualité de rédacteur d'acte, soit en sa qualité de mandataire, sur le fondement de la loi du 2 janvier 1970.

La prescription, qui a été réduite à cinq ans par la loi du 17 juin 2008 court à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.


2. – La responsabilité de l’agent immobilier peut être déjà recherchée en raison de l’inobservation de conditions de forme de l’acte ou du défaut d’accomplissement d’une formalité substantielle, tel l’enregistrement des promesses unilatérales de vente.

Sa responsabilité est engagée pour faute, celle-ci résultant soit de la réalisation d’un acte erroné, soit d’une négligence, soit, de façon plus subtile, de son ignorance.

Et c’est précisément sur la notion de devoir de conseil que la responsabilité de l’agent immobilier est recherchée.


3. – La jurisprudence rappelle, de façon régulière, que l’agent immobilier n’est tenu que d’une obligation de moyens dans le cadre de son devoir de conseil.

Dès lors qu’il a pris les précautions d’usage, sa responsabilité ne doit pas être recherchée.

Pourtant, il n’est pas rare que les Juges aient une notion très extensive de l’obligation de conseil qui revient, de plus en plus à faire peser une véritable obligation de résultat sur les épaules de l’agent immobilier.

Très souvent, l’agent immobilier tente de s’effacer derrière l’intervention du Notaire, mais la jurisprudence admet parfaitement la coexistence de deux fautes, l’une à l’encontre de l’agent immobilier, l’autre à l’encontre du Notaire.


4. – Sur le devoir de conseil, la jurisprudence est abondante et considère que l’agent immobilier « doit recueillir toutes indications sur tout ce qui peut faire obstacle à la vente ou influer sur le consentement des parties ».

Il doit également remplir son devoir de conseil « lorsque l’opération lui paraît hasardeuse ou la validité incertaine ».

Cette appréciation des Juges est souvent très subjective et on se demande si l’on ne va pas finir par reprocher à l’agent immobilier d’avoir vendu un bien trop cher ou, au contraire, à un prix trop bas par rapport au prix du marché.

L’agent immobilier doit-il veiller à ce qu’il y ait une rencontre de volonté entre le vendeur et l’acheteur ou doit-il également arbitrer le prix et les conditions de la vente ?

C’est également en matière de défiscalisation que la Cour de Cassation est vigilante.

Récemment, dans un arrêt du 11 mai 2010 (09-14276), la troisième Chambre Civile a condamné un agent immobilier au titre de son devoir de conseil.

Dans cette espèce, l’agent immobilier avait vendu des appartements avec un package de défiscalisation de type loi ROBIEN.

Les Juge du fond et la Cour de Cassation ont considéré que la vente des appartements se faisait dans une ville touchée de plein fouet par la crise, si bien qu’il était prévisible que l’opération se solde par un échec.

L’agent immobilier avait tenté de se défendre en invoquant le devoir de prudence de l’acquéreur, qui avait signé l’opération de défiscalisation sans même se rendre sur les lieux… comme cela se pratique d’ailleurs assez souvent pour une pure opération de défiscalisation.

La Cour de Cassation a écarté ce moyen en laissant à l’agent immobilier une responsabilité totale.

Il est cependant vrai que, dans le cas d’espèce, l’agent immobilier aurait occulté sciemment l’ensemble des éléments qui auraient permis d’attirer l’attention de son cocontractant…

5. - Les Juges ont retenu la responsabilité de l’agent immobilier dans les cas suivants :

- la signature d’un bail non conforme aux textes en vigueur,
- la notification d’un congé pour vendre sans respecter le formalisme légal,
- la vente d’un immeuble avec mention d’un équipement qui n’existait pas, en l’occurrence un tout-à-l’égout,
- la présentation tardive d’un chèque à l’encaissement,
- l’absence de vérification de la solvabilité d’un acquéreur,
- le fait de n’exiger que quelques fiches de salaire de la part d’un locataire,
- le fait d’avoir tardé à informer le bailleur du non règlement des loyers,
- la présentation d’un locataire contre lequel il avait précédemment diligenté une procédure d’expulsion pour défaut de paiement de loyer…avec un autre bailleur !,
- l’absence de diligences pour recouvrer le loyer et procéder à l’expulsion du locataire,
- la relocation d’un logement en mauvais état et ce même si le propriétaire refuse d’exécuter les travaux !,
- le vol ou la dégradation du bien lors des visites,
- l’absence d’information de l’acquéreur d’un immeuble construit depuis moins de dix ans concernant l’assurance dommages ouvrage,
- l’absence de vérification par l’administrateur de biens de la souscription par le locataire d’une assurance couvrant les dommages,
- le fait de ne pas avoir vérifier, avec l’assistance d’un tiers, que le bien vendu était conforme à sa description (les combles étaient déclarés aménagés alors que le plancher n’était pas porteur),
- la rétention abusive du dépôt de garantie après la non réalisation de la condition suspensive.


6. – Au titre du devoir de conseil, la jurisprudence retient la responsabilité de l’agent immobilier lorsqu’il n’a pas :

- vérifié la régularité de la situation administrative de l’immeuble (constructibilité erronée),
- informé les acquéreurs des vices apparents du bien vendu qu’en sa qualité de professionnel de l’immobilier il ne peut ignorer (parasites, termites),
- vérifié la capacité du mandant de s’engager, notamment en cas d’indivision,
- informé le mandant que le prix de mise en vente est manifestement sous-évalué,
- vérifié la solvabilité de l’acquéreur,
- informé l’acquéreur d’un droit au bail commercial de l’absence de droit au renouvellement de ce bail.

En conclusion, ces quelques exemples devraient inciter l’agent immobilier à faire preuve d’une extrême prudence lorsqu’il concourt à des opérations qu’il ne maîtrise pas, notamment lorsqu’elles sont gérées par ses salariés.

Il est donc indispensable de prouver que l’agent immobilier s’est comporté en bon père de famille, c’est-à-dire en professionnel raisonnable qui avertit par écrit, certes sans trop dissuader, mais de façon suffisamment précise pour qu’aucun reproche ne puisse être formulé à son encontre ultérieurement.

L’absence de responsabilité civile de l’agent immobilier est à ce prix.


THIERRY PELLETIER / Avocat : EN SAVOIR +