Défaut d’hygiène, ni eau ni électricité, des toilettes bouchées… À la barre, la maman des deux fillettes de 10 et 11 ans semble soulagée. Elle place la main devant sa bouche, comme pour marquer son étonnement puis sourit. Elle sera suivie ces prochaines années par un service de probation et elle en a besoin. Elle l’a reconnu durant l’audience , quand elle a vu les gendarmes débarquer à son domicile de Sézanne le 17 octobre 2023, après un renseignement anonyme, elle était « contente ».
« Je ne voyais plus le bout, tous les jours, j’avais des problèmes qui s’accumulaient, j’avais besoin d’aide. » Effectivement, le constat des militaires est éprouvant : déchets au sol, urine et excréments d’animaux, moisissure sur des pans de mur complets, ni eau ni électricité, des toilettes bouchées… Le tableau dépeint par le tribunal est triste, mais telle était la réalité de ces enfants « retrouvées dans un état d’hygiène inquiétant, avec des cheveux proches des dreadlocks, qui faisaient leurs besoins dans des litières ou se retenaient pour pouvoir aller au WC au McDonald’s ».
Les deux sœurs présentaient « un syndrome dépressif important, mais paraissaient vouloir protéger leur mère » Le ministère public ajoute, en citant l’un des certificats médicaux établis, pour achever cette horrible description : « lésions de crasse sous les aisselles, vulvite, lentes dans les cheveux et carence en vitamine D faute d’exposition au soleil ».
Depuis près d’un an et leur installation à Sézanne fin 2022, les journées se succédaient dans le huis clos des murs de cette maison. Au programme : jeux de briques sur écran pour passer le temps, sieste à trois dans le même lit pour se tenir chaud, faute de chauffage, et amusement avec les chats. Car les deux fillettes ne sortaient pas. Pas plus pour se dégourdir les jambes au parc que pour étudier à l’école, où elles n’avaient pas mis les pieds depuis le 7 novembre 2022. Selon le médecin de l’unité médico-judiciaire qui a pu les examiner au moment où l’ordonnance de placement a été émise le 19 octobre 2023, les deux sœurs présentaient « un syndrome dépressif important, mais paraissaient vouloir protéger leur mère ».
Non scolarisées depuis près d’un an Malgré ce constat accablant, la trentenaire originaire du sud de la France ne semble pas prendre conscience de la gravité de la situation. Yeux levés vers le ciel, elle souffle tantôt, alterne rires et pleurs, coupe la parole… Très expressive lors de l’exposé des faits qui lui valent de comparaître devant la justice, elle assure « ne jamais avoir négligé » ses filles. « En tant que mère célibataire depuis toujours, je ne peux pas accepter ça. J’ai toujours tout fait toute seule, mais quand les gendarmes sont arrivés, je n’avais pas eu le temps de laver, j’étais malade. C’était une mauvaise période. Au bout de dix ans, j’avais le droit d’être faible. »
Sauf que les photos prises dans les lieux et les témoignages des deux sœurs tendent à démontrer que la situation n’était pas exceptionnelle. Et la mère s’enfonce. « La police » aurait « tourné les paroles de ses filles comme elle le voulait » pour faire croire qu’elles ne mangeaient pas à leur faim. Et si ses filles ne vont pas à l’école, c’est qu’elles n’ont pas voulu. « Elles ont pleuré le premier jour et elles préféraient rester sur leur jeu en ligne. » Comme si le choix leur revenait…
Parfois adolescente dans son comportement, cette mère a du mal à admettre sa propre responsabilité dans ce qui lui est reproché. « Je ne les ai pas négligées, enfin si, mais pas volontairement. » Malgré ses difficultés sociales, elle n’a d’ailleurs pas, depuis un an, entrepris de réelles démarches pour récupérer ses filles, qu’elle voit désormais une fois toutes les deux semaines pendant deux heures en lieu neutre. Elle n’a pour l’heure ni bail signé à montrer au tribunal, ni contrat de travail .
« La position du déni chronique » Et elle « ne pense pas avoir besoin d’un suivi psychologique ». Elle affirme aux magistrats : « Je trouve que j’ai été forte malgré tout ce qu’on en dit, je n’ai pas coulé ». Ses filles si, en revanche. Placées au foyer de l’enfance de Châlons, elles remontent la pente doucement, « sans se montrer critiques envers leur maman », dixit Me Cuitot, l’avocate de l’Association d’accompagnement éducatif de la Marne (AAEM) qui les représente.
Le ministère public est ferme, lui, sur la responsabilité de la trentenaire : « La dégradation des conditions de vie » de ses deux filles est « imputable à madame » qui aurait pu, voire dû, réagir au lieu de se placer dans « la position du déni chronique ». Il réclame en conséquence dix mois de prison , assortis d’un sursis probatoire de deux ans, là où l’avocat de la prévenue sollicitait lui sa relaxe. Me De La Roche a en effet décrit sa cliente comme une « femme en grande souffrance sociale qui a perdu pied ». La privation de soins n’était selon lui, « pas intentionnelle ». « On ne conteste pas le fait qu’elle soit assistée dans l’éducation de ses enfants, mais cela ne relève pas du pénal ». Le tribunal ne l’a pas suivi sur ce dernier point.
Un placement ordonné Deux jours après le constat réalisé par les gendarmes sézannais, une ordonnance de placement a été émise par un juge des enfants afin de protéger les deux mineures. Les enfants ont été confiées au foyer de l’enfance de Châlons, où elles ont pu retrouver une stabilité, tant au niveau de leur hygiène que de leur scolarité, et être suivies par des professionnels. Leur mère a un droit de visite , elle peut les voir et échanger avec elles en lieu neutre, toutes les deux semaines, à l’espace de rencontre Arc-en-ciel.